(Genève) – Les représentants des gouvernements et des employeurs participant à la conférence de l'Organisation internationale du Travail (OIT) devraient convenir de l’élaboration d'un nouveau traité visant à protéger les travailleurs des plateformes numériques (« gig workers », ou « travailleurs à la demande »), ont déclaré aujourd'hui 33 groupes de la société civile, syndicats et organisations de défense des droits humains. Ces groupes ont publié une déclaration conjointe, lors de la deuxième journée de la 113ème session de la Conférence internationale du Travail à Genève, qui se tiendra jusqu'au 12 juin.
Les organisations ont souligné l'urgence de combler les lacunes critiques en matière de protection des droits des travailleurs dans le secteur de l'économie des plateformes numériques (« platform economy » ou « gig economy », soit « économie gig » ), qui en pleine expansion ; les entreprises y recrutent des travailleurs pour effectuer des tâches ou missions (« gig » en anglais, ou « petit boulot ») afin de répondre à des commandes de clients enregistrées sur leurs applications ou sites web. Les travailleurs des plateformes sont toutefois souvent confrontés à divers problèmes : classification erronée de leur statut par les entreprises, une rémunération faible et fluctuante, l'absence de sécurité sociale et des obstacles à la syndicalisation, tout en étant surveillés et gérés par des systèmes algorithmiques en l’absence de responsabilité des entreprises. L'adoption d'une convention de l'OIT et d'une recommandation non contraignante fournissant des orientations sur les obligations à ce sujet serait essentielle pour protéger les droits des travailleurs des plateformes.
« Les plateformes numériques profitent énormément d'un modèle économique qui prive les travailleurs de leurs droits », a déclaré Lena Simet, chercheuse senior et chargée de plaidoyer auprès de la division Justice économique et droits humains à Human Rights Watch. « L'adoption d'une convention et d'une recommandation enverrait un signal fort : le changement technologique ne doit pas se faire au détriment des droits humains. »
Les organisations ont souligné dans leur déclaration conjointe que les employeurs ne devraient pas classer à tort les travailleurs des plateformes comme des entrepreneurs indépendants, car cela les prive de leurs droits au salaire minimum, à la liberté d'association et de négociation collective, ainsi qu'à la sécurité sociale. Les travailleurs des plateformes peuvent même ne pas avoir de superviseurs humains et sont soumis à des décisions opaques prises par des algorithmes automatisés, ce qui dégrade encore davantage leur sécurité d'emploi et leurs conditions de travail.
« Les travailleurs des plateformes numériques sont particulièrement exposés à de nouvelles formes d'exploitation des données dans le contexte professionnel », a déclaré Tom West, directeur de programmes de Privacy International. « Des algorithmes secrets, des décisions biaisées et la privation de droits ont contribué à la détérioration des conditions de travail, et des relations entre employés et employeurs. Une nouvelle convention de l'OIT doit répondre à cet environnement technologique et empêcher que ces pratiques néfastes ne s'enracinent et ne s'accroissent. »
Il n'existe actuellement aucune loi internationale contraignante traitant explicitement des conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques, bien que le droit international des droits humains définisse les protections auxquelles tous les travailleurs ont droit. L'OIT a l’occasion de garantir d’urgence que les travailleurs des plateformes, qui représentent une part importante et croissante de la main-d'œuvre mondiale, puissent exercer pleinement leurs droits.
Les normes internationales proposées devraient reconnaître explicitement un délai d'attente d’une mission comme faisant partie du temps de travail, établir des critères clairs pour empêcher la dissimulation de certains travaux, et créer des mécanismes de réclamation efficaces et un accès à des recours pour les travailleurs lésés par la gestion algorithmique.
« Les travailleurs des plateformes sont confrontés à l'insécurité, à de faibles salaires et sont privés de sécurité sociale alors que les entreprises gagnent des milliards de dollars », a déclaré Isabel Ortiz, directrice de Global Social Justice. « Des normes contraignantes de l'OIT sont essentielles pour garantir à ces travailleurs précaires des emplois décents et leur inclusion dans les systèmes de sécurité sociale. Certains pays ont montré que c'était possible ; il faut maintenant que cela se produise partout. »
La déclaration conjointe s'appuie sur des recherches menées par des universitaires, des organisations de la société civile et des gouvernements, soulignant le rôle de l'économie des plateformes non réglementée dans l'aggravation des inégalités et l'érosion des normes du travail à travers le monde. Un récent rapport de Human Rights Watch a révélé que de nombreux travailleurs de plateformes aux États-Unis gagnent moins que le salaire minimum et le salaire vital, ne bénéficient pas d'une protection sociale adéquate et sont soumis à un contrôle algorithmique invasif et opaque. De plus, les entreprises de plateformes échappent souvent aux impôts et aux cotisations de sécurité sociale, compromettant ainsi le financement des services publics et de la protection sociale, tout en développant des industries d’une valeur de milliards de dollars.
« Il s'agit d'une occasion cruciale de façonner l'avenir du travail en plaçant l'équité et la responsabilité au cœur de ses valeurs », a déclaré Eduardo Carillo, consultant en politiques publiques et en impact international auprès de l'Association pour la technologie, l'éducation, le développement, la recherche et la communication (TEDIC). « En adoptant des normes contraignantes, la communauté internationale peut réaffirmer son engagement à protéger les travailleurs dans une économie de plus en plus numérisée. Cette déclaration souligne également la nécessité d'une action coordonnée entre les différentes parties prenantes afin de suivre de près les discussions à venir à l'OIT, et de plaider en faveur de résultats qui respectent des normes de travail équitables et servent les intérêts des travailleurs du monde entier. »
Les négociations sur les nouvelles normes sont en cours à la Conférence internationale du Travail. Les discussions sur leur portée et leur contenu s'achèveront lors de la 114ème session en 2026 ; les instruments juridiques définitifs y seront alors officiellement adoptés, si les États membres et les représentants des employeurs et des travailleurs parviennent à un accord.
Les organisations exhortent les gouvernements et les employeurs à s'engager à respecter des normes internationales fortes et contraignantes qui reflètent les réalités du travail sur les plateformes numériques, protègent les droits humains et renforcent le mandat de l'OIT de garantir un travail décent pour tous.
Organisations signataires
- Barwaqa Relief Organization (Kenya)
- Biozid Climate Institute
- Centre for Environment, Human Rights & Development Forum (CEHRDF), Bangladesh
- CFF-Ghana
- Confédération syndicale internationale (CSI - ITUC)
- Dejusticia (Colombie)
- Derechos Digitales
- Disability Peoples Forum Uganda (Forum des personnes handicapées, Ouganda)
- Doaba Foundation (Fondation Doaba – Pakistan)
- Equidem
- Federation of Environmental and Ecological Diversity for Agricultural Revampment and Human Rights (FEEDAR & HR) - Fédération pour la diversité environnementale et écologique pour la revitalisation agricole et les droits humains
- Gig and Platform Services Workers Union (GIPSWU) India
- Global Coalition for Social Protection Floors
- Global Social Justice
- Human Rights Watch
- Institute for Economic Justice (Afrique du Sud)
- Institute of the Blessed Virgin Mary - Loreto Generalate
- Interfaith Center on Corporate Responsibility (ICCR)
- International Lawyers Assisting Workers (ILAW)
- ISIZIBA Community Based Organizations of South Africa NPC
- IT for Change
- Jamaa Resource Initiatives, Kenya
- La Maison des Livreurs
- Lieferando Workers Collective LWC (Allemagne)
- LUNA CRECIENTE - Mouvement National des Femmes de Secteurs Populaires (Équateur)
- Médecins du Monde (France)
- Migrant*innen für Menschenwürdige Arbeit (Allemagne)
- National Forum for Human Rights (Forum national pour les droits humains) – Yémen
- Privacy International
- Success Capital Africa
- Syndicat Chrétien des Travailleurs du Congo (SCTC)
- TEDIC (Association of Technology, Education, Development, Research, Communication - Paraguay)
- The Youth Café (Café Jeunesse) - Kenya
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